Marion Orfila par François Michaud
Au-delà d’une certaine préoccupation environnementale qui transparaît dans bien des propos actuels, le travail de Marion Orfila se caractérise par un engagement profond et intime à l’égard du monde environnant. C’est en effet sa position dans le monde qui la pousse à saisir et à s’approprier la réalité physique de l’univers extérieur. Physis veut dire « nature » alors que l’on entend volontiers par « physique » un ensemble de données plus abstraites, liées à la mécanique des choses et à leur modélisation mathématique ; or, ce sont justement ces deux termes en tension et leurs combinaisons possibles qui intéressent l’artiste.
D’un travail à l’autre, on repère des résurgences – l’eau, le sol, le lieu... – au sein d’un processus dynamique qui met en branle l’apparent inanimé. Chacun sait qu’un arbre est tout sauf immobile, qu’il soit mû par des causes internes – comme la croissance – ou qu’il réagisse à l’action du vent ; mais Marion Orfila ne se satisfait pas du donné : ses arbres, elle les met en mouvement, elle les extrait de leur milieu pour les faire flotter au fil de l’eau, (Forêt délocalisée, 2013-2014) ou s’emploie à relocaliser un morceau de terrain (Prélèvements, 2013 ; Sol supposé, 2013... ). Sa pratique tend à dépasser les coordonnées géographiques, à faire que celles-ci ne soient jamais fixes : elle déterre l’in-situ et le restitue ailleurs ; elle en fait du hors-sol...
Ainsi, lors de son exposition « Bezugs Ebenen » (i.e. « niveaux de références »), à Berlin en 2012, il s'agissait pour elle de réfléchir à la relativité de la notion de point de référence, à laquelle on recourt pour mesurer l'espace. Puisque le niveau de l’eau est censé nous servir de référent universel pour mesurer l’altitude, l’artiste tentait d’en tirer toutes les conséquences et d’en explorer les possibles contradictions. « Parce que l’eau s’adapte à son contexte et aux forces en présence, parce qu’elle adopte la forme qu’ils lui donnent, elle nous renseigne à leur sujet. », nous dit-elle.
La voie qu’elle a choisie met en jeu les forces physiques, prolongement vectoriel de la main de l’artiste. Des figures comme celles de Reiner Ruthenbeck et, bien sûr, de Robert Smithson, représentent en ce sens des positions fondatrices ; mais quand son projet débute, même s’il est issu d’un contexte donné, il doit chercher à s’en évader. Marion Orfila travaille hors-sol et sans filet. Son talent de manipulatrice consiste à extraire ses « objets » du sol, en une singulière lévitation qui semble défier les lois de la nature alors qu’elle ne fait, en jeune successeur de Newton, que s’y conformer.
Reconnaître les forces à l’œuvre, en accepter la prévalence – pour au final en faire sa force. Tel est l’enjeu, tout en tension, qui s’infiltre partout dans son travail et qu’elle entend suivre à nouveau ici, avec Orée délocalisée.
François Michaud17 mars 2015
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