Marion Orfila par Mariane Tremblay
Nous avons pris conscience du mouvement perpétuel de la Terre lorsque nous avons pu l’observer dans sa globalité. Sans cesse en mouvance et en évolution, le monde change d’apparence selon l’unicité de l’œil qui le regarde. Si « relativiser » consiste à reconsidérer une chose en la replaçant/déplaçant dans son contexte, c’est donc cette attitude de recul qu’il est proposé d’adopter pour expérimenter l’installation de Marion Orfila.Relativement là se déroule dans deux contextes distincts immergés de lumière blanche, tantôt froide, tantôt chaude. Des néons reposent au sol, des arbres se propagent au mur, des structures architecturales s’érigent au travers d’une lourde couche de neige. À l’intérieur, dans la salle d’exposition, leur présence est physique, à l’extérieur, dans le paysage, elle est virtuelle. Tel un pastiche d’éléments urbains et naturels, l’œuvre semble jouer sur notre perception du réel et sur notre interaction avec un environnement donné. La temporalité et l’espace y évoluent d’une façon qui échappe à la logique, les repères s’y brouillent.Comme l’a supposé le philosophe Descartes, « [...] on considère souvent du nom de mouvement toute action qui fait qu’un corps passe d’un lieu en un autre, et qu’en ce sens on peut dire qu’une même chose en même temps est mue et ne l’est pas, selon qu’on détermine son lieu diversement. [...] »1 De même, sur une période centenaire, un arbre aura considérablement été en mouvement : croissant, subissant les intempéries, changeant d’orientation, gagnant ou perdant des branches. Pourtant en l’observant sur une plus courte durée, le même arbre pourrait paraître complètement immuable. Ce principe de relativité explique que les variations de contexte peuvent faire apparaître une même chose différemment et qu’ainsi l’écoulement du temps dépendrait d’autres facteurs que celui de l’aiguille d’une horloge. Le parcours du corps dans l’installation rejoint poétiquement et conceptuellement le subtil mouvement balancier de la nature reproduit dans le film de l’artiste.Le facteur de l’expérience joue un rôle déterminant sur la perception, puisque les comportements acquis influencent notre interaction avec le monde et induisent nos réflexes. Dans une situation infligeant la perte de repères, les possibles se multiplient et la surprise autant que l’envie fait son effet. L’interaction entre les sculptures et la vidéo crée un nouveau contexte où le virtuel se superpose au matériel, et où le regardeur sera mené à questionner ses acquis. Ruines dans le paysage ou paysage en ruines ? Le virtuel est-il aussi réel que ce qui est physiquement palpable ? Qu’est-ce qui est statique et qu’est-ce qui ne l’est pas ? L’utilisation de cristaux de sel ayant la capacité d’altérer le métal ainsi que les matériaux poreux que sont le béton et la mousse isolante, confère un aspect vivant et en transformation aux structures architecturales. Alors que celles-ci paraissent massivement immobiles, en changeant de point de vue, une autre évolution prend forme dans l’univers de l’infiniment petit.Enfin, le regardeur n’est pas laissé à lui-même dans cette expérience déstabilisante : la présence d’un guide dans le film évoque un changement d’échelle des éléments sculpturaux qui donne l’envie d’adopter son point de vue, voire de se sentir plus sauvage, davantage instinctif. Relativement là suggère de se laisser prendre au jeu afin de prendre conscience de la relativité des états de présence.
Mariane Tremblay pour Langage Plus
2016
Texte rédigé d’après l’exposition de Marion Orfila. Relativement là
1 Citation tirée des OEuvres philosophiques de Descartes publiées d'après les textes originaux, 1852, p. 327.
retour/ back